L'affaire fait grand bruit pour le moment : le Prince Laurent estime qu'il travaille pour le compte de la monarchie en tant qu'indépendant et qu'il a, de ce fait, le droit de s'affilier au statut social des travailleurs indépendants.
Une dotation-traitement, pas si astronomique que cela
Le Prince a droit à une dotation globale de l'ordre de 400.000 EUR par an. Mais, contrairement à ce que l'on a pu lire ou entendre, il ne dispose pas à sa guise de l'entièreté de cette somme, qui s'organise en deux volets.
La première partie de cette dotation est explicitement définie par la loi comme un "traitement" : c'est un salaire, versé en contrepartie des nombreuses prestations de représentation que le Prince accomplit pour la monarchie. Cette partie s'élève à 100.000 EUR brut par an et est imposable (et imposée) en tant que revenus de travailleur indépendant. Au final et après impôt, le Prince en conserve environ 60.000 EUR de "salaire poche", pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
L'autre partie de la dotation, de 300.000 EUR environ, est une "enveloppe" disponible pour la prise en charge des importants frais professionnels du Prince : salaires de son personnel, administration et secrétariat, bureau, nombreux déplacements, chauffeur, cadeaux, frais de représentation et de restaurant, etc. Le Prince n'en dispose pas librement et doit toujours produire des justificatifs adéquats. Pas question donc pour lui, par exemple, d’utiliser cet argent pour se constituer une épargne, faire un achat immobilier ou même souscrire des assurances privées (soins de santé, assurance-vie, pension complémentaire, etc.).
En réalité, le Prince perçoit donc, pour son travail, environ 60.000 EUR net par an, soit 5.000 EUR net par mois. Ce n'est pas dérisoire, certes, mais ce n'est pas non plus indécent : cela correspond au salaire moyen d'un cadre supérieur en Belgique, dont la rémunération oscille entre 4.000 EUR net et 8.000 EUR net (en 2023). A cette différence près que le (ou la) cadre supérieur.e bénéficie, outre ce salaire, d'une couverture sociale complète. Pas le Prince, ni sa famille...
"Ceci n'est pas un travail"
Magritte aurait pu en faire un tableau : prétendre que les activités du Prince ne sont pas un travail, c'est faire honneur à la longue tradition surréaliste de notre pays.
En épluchant son agenda des cinq dernières années, je comptabilise une moyenne de 90 activités de représentation (du Roi Philippe, de la famille royale ou de l'état) par an, soit deux à trois par semaine - hors période Covid. Chacune de ces activités, aux quatre coins du pays (histoire de respecter le délicat équilibre belgo-belge), représente très souvent un déplacement d'une journée et une préparation de quelques heures, la veille. Faites le compte.
Et si l'on pense que ce n'est pas travailler que de "couper des rubans", serrer des mains et écouter longuement des personnes en montrant un intérêt (réel ou feint) pour leurs activités, prêtez-vous quelques jours à l'exercice. Moi, en toute honnêteté, je n'en voudrais pas...
La loi est limpide
La réglementation du statut des indépendants est très claire : si une personne exerce en Belgique un travail habituel lui procurant une rémunération soumise à l'impôt des indépendants, alors cette personne a automatiquement le droit de s'affilier au statut social des indépendants, d'y payer des cotisations et de percevoir la couverture sociale en cas de nécessité (soins de santé, pension de retraite, pension de survie, etc.).
Je pense donc que, sur cette base, l'INASTI n'a pas le droit de décliner l'affiliation du Prince, ni de refuser que celui-ci paie ses cotisations sociales trimestrielles. D’ailleurs, pour une fois qu'un indépendant serait heureux de les payer...
S'adresser au juge est un droit élémentaire, aussi pour un Prince
Le Prince "n'attaque" pas l'Etat Belge en justice, comme on l'a lu. Il n'est pas parti en croisade contre nos institutions.
Il estime, tout simplement, qu'un de ses droits est bafoué par une administration. Et dans notre système démocratique, où l'arbitraire n'a pas sa place, il a la possibilité de soumettre la question à la justice, qui tranchera. Des milliers de citoyens font de même chaque année, en toute légitimité, quand ils sont confrontés à une décision administrative qu'ils estiment injuste. Le Prince a le droit de le faire, lui aussi.
Faire valoir un droit, ce n'est pas un "caprice"
Quoiqu'on en dise, le Prince Laurent ne saisit pas la justice pour des broutilles. Il demande que, lorsque les circonstances pénibles de la vie le frapperont - lui-même ou sa famille - il puisse recevoir la protection sociale qui est garantie à chacun.e d'entre nous, du plus démuni au plus milliardaire. Ce droit à la protection sociale est accordé par la loi à tout résident belge de manière non-discriminatoire, quelle que soit son origine ou sa fortune. Ce caractère dit "universel" fait la beauté de notre système social et même son originalité : il est quasi unique au monde, par son étendue et sa générosité.
Si le Prince et sa famille sont privés de leur droit à la sécurité sociale, les conséquences ne sont pas anodines : obligation de financer en privé une couverture soins de santé, pas de pension de retraite si la dotation prend fin et surtout, en cas de décès du Prince, pas de pension de survie pour Claire et ses enfants, qui se trouveraient privés des revenus de la dotation, du jour au lendemain.
Notre système de sécurité sociale a été pensé pour que personne n'en soit exclu. Le Prince Laurent a donc raison de demander, pacifiquement, le bénéfice d'un droit qui revient à tout citoyen qui travaille. C'est pourquoi je le soutiens pleinement dans cette demande.